Un corps à soi

RECHERCHE-CRÉATION PORTÉE SUR L’UTILISATION DE LA DANSE ET DU MOUVEMENT AU SERVICE D’UN TRAVAIL DE DÉ/RE-CONSTRUCTION DES MASCULINITÉS TOXIQUES. UNIVERSITÉ PARIS 8.

8 juin 2020. 

Aux prémisses de mon sujet de recherche. 

“Ne pas se moquer, ne pas se lamenter, 

ne pas détester, mais comprendre” 

Baruch Spinoza

Je me demande régulièrement si mes croyances ne sont pas totalement décalées de la vie réelle, si je ne suis pas en train de faire fausse route. Mais je n’y peux rien, je crois en l’empathie, et, quoi que je fasse, mon féminisme en revient toujours à ça. 

Je n’ai que 21 ans et j’ai été déjà été victime, comme beaucoup de femmes, de trop d’injustices et de violences liées à des dynamiques d’oppression de genre. J’ai longtemps subi ma condition de femme avec claustrophobie; je me suis longtemps sentie impuissante et en colère. J’ai grandi, un peu, et la vie m’a amenée à faire le choix de pardonner ceux qui m’ont fait du mal; ce qui ne veut pas dire que j’oublie, que j’accepte, ou que je capitule. Loin de là. Simplement, j’emploie aujourd’hui mon énergie à comprendre plutôt qu’à blâmer. Quelque chose me dit que c’est seulement dans cette compréhension de l’autre que je peux trouver le pouvoir d’agir — qui n’est pas celui de réagir — avec recul et conscience, justesse, et surtout, efficacité. 

La semaine dernière, je faisais un jogging avec ma mère, quand, à un virage, j’entendis le bruit d’une mobylette me dépasser. J’eus à peine le temps de me décaler de la route pour céder le passage que je sentis une main m’attraper les fesses. Comme trop souvent dans ce genre de situation, pas même le temps d’appeler le con un con qu’il était déjà trop loin.  Je suis si habituée au harcèlement de rue qu’en quelques secondes à peine, cet épisode fut oublié. Or pourtant, plus tard dans la soirée, je me sentie envahie par une sorte de malaise, incapable d’identifier la cause précise du sentiment qui m’enveloppait. Puis finalement, je crus comprendre, et appelai alors ma mère en hâte pour lui demander son avis sur l’âge du motard. Elle me répondit qu’elle le croisait souvent dans les environs, qu’il avait 15 ans tout au plus. Mes premiers jugements ont été c’est dégoûtant, c’est moche, c’est grave. Mon premier ressenti a été le choc. Puis très vite, est arrivée l’empathie. En boucle dans ma tête se répétait la même question: qu’est ce qu’il a bien pu se passer dans la vie de cette personne pour qu’elle en arrive à avoir de tels comportements? 

Si je choisis de partager ici cette expérience personnelle en particulier, c’est parce que j’espère qu’elle peut rendre mon positionnement plus lisible. Il me semble que, dans cet exemple, le jeune âge de mon agresseur met en lumière la complexité des dynamiques de pouvoir à l’oeuvre dans les violences sexuelles et sexistes. En effet, en prenant un peu de recul, la simple dichotomie agresseur/victime ne parait-elle pas insuffisante à une lecture politique de la situation décrite plus haut ? Ne sommes nous pas, ce jeune homme et moi, tous deux victimes d’une même force invisible? Je ne cherche à excuser personne, ni à nier l’importance de la responsabilité individuelle, mais je fais le choix de ne pas m’y attarder, dans le but de regarder la situation à un autre niveau. 

Évidemment, le type de considération que je porte à mes agresseurs s’inscrit dans une réflexion féministe plus large, et si je me permets de défendre, dans une certaine mesure, certains  hommes, c’est parce que je m’attaque plutôt aux systèmes qui participent à leur construction et à la perpétuation de la domination patriarcale. En outre, il me semble important d’ajouter que ma démarche ne prend sens que dans le cadre de revendications parallèles pour un système judiciaire solide permettant de sanctionner légalement les violences sexuelles et sexistes et pour la mise en place de dispositifs de soutien aux victimes de violences sexuelles. Or, ces solutions, soulagent mais ne guérissent pas… 

Il est délicat de refuser de pointer du doigt, d’en vouloir, d’haïr les méchants. Il l’est d’autant plus de défendre que nos agresseurs sont aussi des victimes, et qu’ils méritent d’être traités comme tels. Pourtant, c’est de ce postulat que nait ma réflexion. J’aimerais par mes recherches proposer une humble contribution à la construction d’un futur qui soit plus sain, en gardant en tête qu’on ne nait pas monstre, on le devient.