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LYOU BOUZON SIMONET
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APPEL D’AIR

Annie Lebrun, 1988

Question d’allure, faut-il le rappeler, si essentielle qu’elle n’est même pas nouvelle. «La poésie ne rythmera plus l’action, elle sema en avant», déclarait Rimbaud, déterminant soudain, dans le cours de la sensibilité occidentale, un avant et un après. Un avant, où la poésie ne sert qu’à accompagner la marche du monde. Et un après, où la poésie, conscience de la voyance, instaure un nouveau rapport au monde. […]

Nous avons oublié que, n’étant tenue par rien, la poésie possède depuis toujours le dangereux privilège d’aller vers ce qui échappe aux autres façons de penser. Insouciante de toutes exigences, systématiques ou ponctuelles, elle seule a en elle la liberté de se risquer tout entière à essayer de défaire la trame obscure qui se resserre de plus en plus autour de chaque vie. […]

Perle noire, perle blanche, la terre roule sur les paumes de l’aube. Il y a bien sûr les grands éventails du temps dont nous pouvons nous servir à loisir. Mais tout compte fait, nous n’avons que la poésie à opposer à la pauvreté de l’évidence. Nous n’avons qu’elle pour renverser la grossièreté du rapport du général au particulier qui, jusque dans nos façons d’être, vient nous faire violence. Nous n’avons qu’elle pour affronter en nous la monstruosité d’une volonté de pouvoir, chaque jour renforcée par l’illusion de la maitrise et la maîtrise de l’illusion. Et cela pour la bouleversante raison qu’elle ne cesse d’affirmer scandaleusement la richesse, la subtilité et la justesse des moyens qui justifient la fin contre la brutalité d’un monde où la fin justifie les moyens. En ce sens, la subversion poétique contient toutes les autres. […]

Du coup, il y aurait encore beaucoup à apprendre de la « haine de la poésie » qu’on pourrait lire d’abord, chez qui s’y adonne, comme la somme inconsciente de ses renoncements. Renoncements aux illusions du merveilleux, diront les uns, trop contents de réduire à rien le sens de l’éblouissement dans lequel l’enfance de l’homme apprend celui de sa chance. Car c’est notre chance de savoir confondre, en toute innocence, et dès le départ, le luxe et la facilité, le désir et la volupté, l’inconnu et l’impatience. D’elle seule nous vient cette passion de l’infini à laquelle la plupart, la vie aidant toujours dans ce cas, s’efforcent de renoncer.

Renoncement au merveilleux, c’est-à-dire renoncement à l’absence de limites que la poésie ne cherche qu’à rendre effective, avec tout ce que cela suppose de danger. « Il faut être nomade, traverser les idées comme on traverse les pays et les villes », suggérait Picabia au début de ce siècle. C’est simple, pour ne pas être traversé, il faut partir, partir pour traverser des mondes où on ne s’installe jamais à demeure, mais dont on ne revient pas tout à fait. Encore n’est-on jamais sûr d’y être allé, tant le parcours est improbable, se développant à la lisière de ce que nous ne sommes pas encore, au bord de l’abîme de ce que nous sommes. […]

Sans cette conscience physique de l’anéantissement qui, seule, ouvre à celle de l’infini, il n’y a pas de poésie, il n’y a que de la littérature. […]

Ne ferais-je pas mieux, en effet, au lieu de déplorer une absence de poésie grandissante, de tenter d’y remédier? En écrivant des poèmes, par exemple. Allons donc! Voilà trop de ce temps qu’il n’est même plus question d’ajouter quoi que ce soit à ce qui s’écrit de prétendument poétique, quand c’est notre rapport au monde tout entier qui est en jeu, dès lors que le langage lui-même est menacé dans son pouvoir d’évocation, à mesure que les mots renvoient de moins en moins aux choses et que les images se substituent de plus en plus aux êtres. Et je voudrais bien savoir dans les miettes littéraires qui en résultent comment la subversion poétique trouverait à se nourrir. Son intérêt est même aujourd hui de déserter au plus vite ce qui se confond de près ou de loin avec toute catégorie poétique reconnue comme telle. […]

Je ne crois pas inutile d’insister sur cette désertion intérieure de la poésie par la poésie, celle-ci ne laissant plus alors apparaître que la révolte qui l’habite. [. ] J’ai beau considérer notre paysage je n’y vois pas la moindre trace de cette émotion que Saint-Pol-Roux disait être « le sillon du vrai », je n’y vois pas le moindre signe de «cette émotion appelée poésie » sur laquelle Reverdy n’a cessé d’insister. […]

Et elle est là toute entière « cette émotion appelée poésie », dans cette façon d’être au monde et de ne pas l’être, faisant se rencontrer l’actuel et l’inactuel aussi bien à la surface qu’au cœur des choses, pour trouver une autre respiration s’approchant du « rythme grandiose » dont parle Novalis et qui dévoilerait, selon lui, « une nouvelle analogie entre la pensée et la lumière, puisque toutes les deux se joignent et s’associent à des oscillations, à des mouvements ondulatoires ». Intuition troublante mais qui ne dément nullement le fait de la négation poétique, jouant de toutes les ressources du contrepoint pour se développer moins comme une trajectoire que comme un rythme. Comme le rythme né du sentiment de l’ici et de l’ailleurs, du passé et du devenir, du fragment et de la totalité, et qui est notre seule chance de réinventer le temps.

LE LOUP DES STEPPES
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